Mario Draghi, le président de la BCE, a annoncé le 12 septembre dernier deux mesures pour atteindre un objectif d’un taux d’inflation proche de 2% et relancer l’économie.
– Le taux de dépôt, qui rémunère les banques qui placent leurs réserves à la BCE, passe à -0,50%. Ce dépôt, de plus en plus coûteux pour les banques, invite les banques à accorder des prêts à taux très bas pour les entreprises et les particuliers.
– D’autre part, la banque centrale va reprendre le 1er novembre sa politique de rachat d’obligation (quantitative easing), à raison de 20 Milliard par mois.
Alors que les perspectives économiques s’assombrissent, ces deux mesures ont pour objectif de quitter une spirale déflationniste, et de relancer l’économie en incitant les banques à injecter des liquidités dans l’économie.
Depuis juin 2019, les OAT (obligations émise par l’Etat Français) à 10 ans passent sous la barre des 0%. C’est à dire l’afflux de liquidités est tel, que les investisseurs sont prêts à rémunérer l’état en le finançant, en raison du très faible risque de crédit de la signature de l’Etat.
Quelles conséquences pour les assureurs ?
C’est taux bas génèrent une diminution du rendement des actifs des assureurs.
En effet, en raison du cycle inversé des flux financiers des assurances (les dépenses interviennent après les recettes), les assureurs placent l’excédent de liquidité sur les marchés financiers. Plus l’écart entre ces deux flux importants, plus les impacts sont élevés.
Sur les branches longues du IARD comme l’assurance construction ou la responsabilité civile, les assureurs ont la possibilité d’augmenter leurs primes pour compenser l’absence de revenu financier issu des placements.
En revanche, la branche Epargne-retraite de l’assurance vie est lourdement impactée par une longue période de taux bas.
Et cela pour trois raisons :
1. Les fonds euros (fonds pour lesquels les investisseurs garantissent un capital) sont massivement investis en produits obligataires en raison de leur faible niveau de risque. 70% des actifs de l’assurance sont placés sur les marchés obligataires.
2. les exigences du pilier 1 solvabilité II sur les niveaux de risques des investissements obligent les assureurs à investir massivement sur les produits à terme du marché obligataire, en raison du faible niveau d’exposition au risque de marché.
3. Au fur et à mesure que le stock d’anciennes obligations apportant du rendement diminue, les compagnies n’ont pas d’autre choix que de réinvestir dans de nouvelles obligations moins rentables. Si la faiblesse des taux diminue, le rendement des fonds euros ne peut que diminuer. Cela va grever le taux de rendement des actifs, et donc diminuer le rendement servi à l’assuré sur le fonds en euros. Un assureur est tenu de redistribuer aux épargnants 85 % des bénéfices d’un fonds euros, lissé sur 8 ans : c’est la participation aux bénéfices.
L’assurance vie propose aujourd’hui deux types de fonds (hors fonds Euro-croissance, dont l’usage est encore marginal en France) :
– un fonds euros à capital garanti, avec un engagement potentiel de rendement auprès de l’assuré (taux moyen garanti)
– un fonds UC (unité de compte) investis sur les produits financiers du marché (OPCVM, actions, etc…), qui offre un meilleur rendement mais pas garantie en capital lors de l’arrivée à terme ou au décès de l’assuré.
L’environnement de taux bas va faire évoluer l’offre d’assurance vie, en mettant en place des formes de garanties en capital et en limitation de la volatilité. Cette financiarisation du fonds UC va aussi modifier le panel de supports financiers offerts aux assurés, en y incorporant davantage de produits structurés. Cela requiert de plus en plus de compétences financières sur la gestion obligataire, des équipes de plus pointues sur la gestion d’actif ou une capacité à déléguer tout en réduisant les coûts.
Quelles sont les craintes les plus fortes de l’assurance Vie sur la dynamique des taux bas ?
Trop bas, les taux exposent l’assurance au risque de ne pouvoir honorer ses engagements en rendements.
Trop haut, les taux exposent l’assurance au risque de rachat, l’épargnant pouvant souhaiter de se désengager d’obligations à faibles rendement, pour aller sur d’autres obligations plus rentables.
Mais le scenario le plus redouté serait un hausse brutale des taux, de l’ordre de un à deux points en deux ou trois ans. Les risques portent sur des rachats massifs de la part des épargnants sur des obligations à moins-values latentes, sans que l’assureur ne dispose de réserves suffisantes en provisions pour participations aux bénéfices. Pour se prémunir contre ce scénario (dit à la japonaise) la loi Sapin 2 a donné au Haut Conseil de stabilité financière le pouvoir de suspendre temporairement les rachats, afin de sauvegarder la solvabilité des assureurs.
L’une des alternatives serait de revoir le cadre prudentiel de solvabilité II, en particulier sur les chocs d’actifs imposés sur les actions, pour que assureurs puissent investir davantage dans les actions et moins dans les produits obligataires. C’est l’un des arguments mis en avant par les assureurs auprès l’union Européenne, dans le cadre de la révision de solvabilité II qui prendra effet début 2020.
Pour Jean-Laurent Granier (directeur de Generali France), la disparition du fonds euros est bel et bien terminée : « Le fonds euros aujourd’hui, ne peut plus fonctionner, car l’économie et la réglementation nous enseignent que la base de ce que l’on vend doit être le taux sans risques, et le taux sans risques aujourd’hui, il est négatif.»